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La nouvelle économie des fans : Pas besoin d’insister

Lors de la plus récente édition de SXSW, qui se tenait en présentiel pour la première fois depuis trois ans, Brett Marchand, PDG de Plus Compagnie, a rencontré Yves Béhar, designer de réputation mondiale et fondateur de la société de design de calibre international fuseproject, Dani Calogera, vice-présidente, marque et marketing numérique, de Showtime, Shawn Francis, chef de la création de We Are Social É.-U. (membre de Plus compagnie), et Lore Oxford, cheffe mondiale, insights culturels, de We Are Social (membre de Plus Compagnie). La rencontre était animée par Steve Madden, DG de Haymarket Media, Business Media Group. Le sujet de la discussion? La nouvelle économie des fans. Voici un résumé de l’échange.

La vie des fans n’est plus ce qu’elle était. L’éventail d’outils et de possibilités qu’offrent les médias sociaux a fait passer les fans de témoins dévoué(e)s à créateur(-trice)s passionné(e)s qui produisent leur propre contenu dans un dialogue avec le contenu de marque de leurs idoles. À la fois laboratoire de création collaborative, plateforme de renforcement de communauté et secteur économique émergent, l’apport des fans est devenu un redoutable vecteur d’affinité entre marques et consommateur(-trice)s.Comme l’explique le PDG de Plus Compagnie Brett Marchand, « un produit ne trouve son sens véritable que lorsque les gens soulignent sa valeur. » Et quand ces gens sont des fans, il n’est plus question que de ce qu’ils disent de ces produits, mais également du contenu qu’ils créent et qu’ils partagent en lien avec ceux-ci. C’est ce qui définit leur relation avec les marques. Jamais les fans n’ont eu autant d’influence sur le sort d’une marque.Le fondateur de la société mondiale de design fuseproject Yves Béhar renchérit et soutient que le design est « la manifestation d’une intention ». Et on peut en dire autant de la marque. La raison d’être de la marque a toujours été de convaincre, mais les moyens de persuasion ont changé radicalement et sont passés de la conversion à la conversation à la cocréation.Lorsqu’il s’agissait simplement de convaincre, la publicité était l’arme de choix. Mais de nos jours, comme l’observe Yves Béhar, « la publicité est le prix à payer quand on manque d’originalité. » Lorsqu’une marque n’a pas de signification dans la vie des gens, toute la publicité du monde ne suffira pas à la maintenir en vie.

Être fan, c’est être libre

Que signifie « être fan », et quel sens cela confère-t-il à une marque? Question contenu, c’était la marque qui était traditionnellement aux commandes, mais de nos jours, les fans racontent eux et elles aussi l’histoire de la marque. On peut consommer le contenu de la marque, ou encore créer son propre contenu et le monnayer. Chacun(e) fait ses choix. Être fan, c’est être libreL’industrie de la musique illustre merveilleusement bien cette équation. Des artistes rendent disponibles les pistes individuelles de leurs chansons – la batterie, la basse ou les voix – afin que leurs fans puissent créer leurs propres versions à la maison. Il y a aussi le club de football l’Arsenal, dont le regroupement de fans LGBTQ+ – qui se surnomment les Gay Gooners – démontre comment une communauté nichée peut amorcer une toute nouvelle conversation sans même qu’on le lui demande. Pas besoin d’insister.

Des plateformes de pouvoir, de transformation et d’intimité

Les fans peuvent amener votre marque là où vous n’auriez jamais imaginé l’amener, et les plateformes de médias sociaux sont les véhicules qui l’y amènent. Wattpad, le média social voué à la lecture qui a lancé Cinquante nuances de Grey – une fanafiction basée sur la série Twilight – illustre bien comment les fans tirent profit de franchises existantes pour créer leur propre contenu original. Les fans ne se contentent pas d’admirer la fanafiction : ils et elles génèrent du contenu original qui a un impact réel sur la culture au sens large. Le contenu engendre de la fanafiction, qui engendre un tout nouveau produit de divertissement.La marque profite du fait que les fans aiment imaginer divers scénarios. C’est un retour des relations et expériences où le moins, le plus gros, le meilleur, le plus approfondi sont de mise. Les gens s’investissent dans des communautés où ils peuvent approfondir leurs intérêts. Par exemple, Discord est une plateforme où les utilisateurs discutent de sujets hyperprécis avec d’autres personnes qui partagent leur passion.Et la pandémie a accéléré la tendance. C’est ce qu’on appelle « le déficit pandémique d’intimité ». Pendant le confinement, les fans ont été nombreux et nombreuses à chercher une plus grande intimité avec les influenceur(-euse)s, qui ont eu du mal à répondre à cette demande. Une étude récente de We Are Social a confirmé que les communautés de fans sont devenues une nouvelle manière de se rapprocher durant la pandémie, ce qui a compensé pour le manque d’intimité imposé par les périodes de confinement.

Laisser libre cours à la création ou discipliner la passion des fans

Le besoin de profondeur et d’intimité a mis en branle la démocratisation de la créativité sur des plateformes comme Discord et TikTok. Par exemple, le compte Creepy American Girl Dolls a mis en scène des poupées American Girl habillées comme des personnages d’une production de la chaîne de télévision Showtime et photographiées dans la forêt. Les images étaient publiées sur TikTok. Dans un tout autre domaine, les ligues de soccer professionnel remplissent leurs stades, mais l’intérêt pour le sport ne dépasse jamais le cercle des initié(e)s. We Are Social a engagé des fans créatifs à produire du contenu et à l’exposer dans la culture plus large. Lorsqu’un garçon a publié une vidéo où on peut le voir, dans une salle de bain, en train de recréer un but gagnant avec un rouleau de papier de toilette en guise de ballon, WAS a su que sa stratégie d’engagement fonctionnait.On peut toutefois se demander ce qu’il advient de l’intégrité de la marque lorsqu’on laisse la création entre les mains des fans. Il faut bien sûr défendre l’intégrité du contenu de la marque, mais il faut également laisser les fans amener l’histoire là où elles et ils l’entendent. On ne peut pas discipliner la passion des fans. La marque peut ne pas être d’accord avec les propositions des fans, mais elle doit être consciente que les fans le font pour elles-mêmes et eux-mêmes, et non pour la marque. Il faut les laisser faire. Cela ne signifie pas qu’il faut modifier le contenu original.

L’émergence de l’économie des fans

Alors, quelle sera la prochaine étape? Les gens qui contribuent à la culture de la marque se verront rémunérés. Les fans sont prêts à rémunérer les créateurs qu’ils aiment pour faire en sorte qu’ils continuent de créer. Les fans voudront être parties prenantes et tirer profit de ce qu’elles et ils aiment. Il existe tellement de façons pour les fans de laisser libre cours à leur créativité que les marques devront trouver des moyens de les laisser prendre part aux décisions de création. Les jetons de fans exemplifient à merveille ce phénomène.De plus en plus de marques délèguent un certain pouvoir à leurs plus fervents admirateurs en les outillant pour leur permettre de poursuivre leur travail de création. Mais les marques devraient accorder un peu plus de marge de manœuvre à leurs fans. L’important est de leur faciliter la tâche pour ce qui est de parler de leurs produits. Leur offrir l’aide dont ils et elles ont besoin, sans toutefois s’ingérer dans leur création, dans la mesure où ils et elles font du bon travail.

Résumé

La vie des fans n’est plus ce qu’elle était. L’éventail d’outils et de possibilités qu’offrent les médias sociaux a fait passer les fans de témoins dévoué(e)s à créateur(-trice)s passionné(e)s qui produisent leur propre contenu dans un dialogue avec le contenu de marque de leurs idoles. Ce résumé de rencontre explore la situation actuelle en pleine évolution et les avenues que pourrait prendre l’expérience des fans dans l’avenir : plus précisément, en tant que laboratoire de création collaborative, de plateforme de renforcement de communauté et de secteur économique émergent.